L’histoire de l’alimentation a longtemps été négligée par le monde académique mais, ces dernières années, des chercheurs et chercheuses s’y intéressent de près et mènent des études approfondies sur l’origine de certains plats ou ingrédients. C’est le cas par exemple du Belge Pierre Leclercq : durant ses conférences et ses chroniques radiophoniques, il analyse certaines légendes de l’histoire de la gastronomie francophone et montre que, bien souvent, les beaux récits romanesques ne correspondent pas à la vérité historique.

Les erreurs mythiques

De nombreuses légendes expliquent la création d’une recette ou d’une spécialité culinaire à travers une maladresse ou une distraction en cuisine.
On raconte par exemple qu’un berger aurait oublié son fromage de brebis dans une grotte pendant la période estivale, et l’aurait retrouvé recouvert de moisissures bleues à son retour : le roquefort serait ainsi né.
Plusieurs desserts ratés sont aussi passés à la postérité. Parmi eux figure la célèbre tarte Tatin : elle aurait été inventée accidentellement par les sœurs Tatin, propriétaires d’un hôtel-restaurant à Lamotte-Beuvron au XIX^e siècle. Deux versions coexistent : elles auraient oublié la pâte au fond du moule et l’auraient ajouté au-dessus des pommes au cours de la cuisson, ou bien elles auraient renversé la tarte à la sortie du four. Et il existe une histoire similaire pour les crêpes Suzette : dans les années 1890, à Monte-Carlo, un apprenti pâtissier aurait enflammé par inadvertance des crêpes à l’orange aromatisées au cognac.
Même s’il a été prouvé que toutes ces histoires sont improbables, elles continuent d’être transmises dans la culture populaire.

Les figures légendaires

Une autre facette de cette mythification concerne le rôle présumé de personnalités historiques dans la diffusion de recettes emblématiques.
Dans de nombreux récits du XIX^e siècle, l’Italienne Catherine de Médicis (1519-1589), devenue reine de France suite à son mariage avec Henri II, est étroitement associée à l’histoire de la gastronomie française, à laquelle elle aurait largement contribué. Elle serait responsable de l’introduction en France de certains légumes comme l’artichaut ou le brocolis, mais aussi de produits de pâtisserie comme le sabayon ou les macarons, et même… de la fourchette ! Toutefois, selon l’historien Pierre Leclerq, cette influence prêtée à Catherine de Médicis ne serait pas fondée.
Même constat pour le croissant : selon la légende, il serait lié au symbole de la Lune ottomane et serait né à Vienne en 1683, pour célébrer la libération de la ville – grâce à l’intervention cruciale des boulangers viennois – après plusieurs semaines de siège par les Ottomans. Et, pour expliquer l’arrivée du croissant en France, on évoque souvent le rôle de Marie-Antoinette (1755-1793), reine de France d’origine autrichienne. Or le kipferl autrichien existait bien avant 1683, et le croissant n’a fait son apparition à Paris qu’au XIX^e siècle.

Le succès immuable des belles histoires

La transmission de ces légendes, de génération en génération, est probablement liée au pouvoir de la communication narrative : ce type de storytelling, en effet, est capable de susciter la curiosité et de frapper les esprits. De nos jours, les expert(e)s en marketing le savent : dans le domaine de la gastronomie où la tradition et le folklore jouent un rôle essentiel, une histoire captivante peut devenir un atout touristique et augmenter les ventes d’un plat ou d’un produit.
La vigilance est donc cruciale, face aux histoires romanesques qui entourent les origines de certaines recettes. Il faut cependant reconnaître que les mythes font partie intégrante de l’histoire de l’alimentation, et qu’ils enrichissent l’expérience culinaire en lui conférant une dimension culturelle et émotionnelle.

(Margot Legrand)
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